Interview

Digard face à Digard

A 34 ans, Didier Digard a intégré le staff de l’équipe première le 4 décembre dernier, dans la foulée de la nomination d’Adrian Ursea comme entraîneur principal. Coach adjoint des U17 pendant un an, il s’épanouit désormais dans un quotidien à la fois familier et différent. Un entre deux où l’expérience se mêle à la découverte, où son passé lui sert à construire l’avenir et où sa personnalité, tournée vers les autres, lui permet de jouer un rôle important dans le présent, « comme à l’époque ». Avant le déplacement à Nantes, nous avons voulu confronter l’ancien joueur au nouvel entraîneur.

Didier, quand tu étais joueur, tu te disais quoi avant de venir à un entraînement ?
Selon les jours de la semaine, je connaissais à peu près les contenus, mais quand tu es joueur, tu es moins dans la réflexion. La différence, quand tu es entraîneur, c’est que tu sais exactement pourquoi tu fais cette séance, quel est le but recherché par rapport au match du week-end. Joueur, tu es plus recentré sur toi même, alors qu’entraîneur, tu es centré sur le groupe.

Maintenant que tu es coach, comment se prépare une séance ?
Chaque adversaire a des qualités et des défauts spécifiques. On doit réussir à bien les analyser en amont. Il faut également identifier nos points forts et nos axes d’amélioration, puis les travailler dans la semaine en fonction des problématiques que peut nous poser l’équipe qu’on va rencontrer. Avant une semaine, tous ces critères entrent en compte dans notre réflexion. Les séances en découlent. Ce qui varie, ensuite, c’est surtout la dominante athlétique, le volume d’entraînement qu’on va mettre en place pour arriver au top le jour du match.

Quand tu étais joueur, tu avais des petites habitudes ?
Non. Ni en tant que joueur, ni aujourd’hui. Ça me fait rire, parce que dans le staff, certains ont des petits rituels, donc je les chambre, parce que je pars du principe que nous faisons beaucoup, tous les jours, pour bien préparer les matchs. C’est comme quand on me souhaite bonne chance : c’est le travail du quotidien qui fait nos semaines et nos matchs, pas la chance.

Ton état d’esprit a changé avant un match ?
Forcément, parce que maintenant je subis plus les choses. C’est plus compliqué car on est dépendants des joueurs et en même temps, on doit avoir de l’impact. Joueur, on a la capacité, plus rapidement, de changer les événements. C’est plus facile à vivre...

Pourquoi ?
Parce qu’entraîner, c’est beaucoup de remise en question, surtout quand ça ne fonctionne pas. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on n’a pas bien dit ou bien fait ? Pourquoi le message n’est pas passé ? Est-ce que c’est nous, est-ce que c’est eux ? C’est compliqué. Et ça n’arrête jamais, tu penses et tu cogites toujours.

"J'ai toujours été très à l'écoute"

Il y a plusieurs manières de recevoir les consignes quand on est joueur. Quelle était la tienne ?
Même si j’ai beaucoup de caractère, j’ai toujours été très à l’écoute. Et je n’ai jamais été un souci à gérer.

Est-ce que tu as une manière de transmettre les consignes différente pour chacun, ou est-ce qu’il y a une méthode générale « à la Digard » ?
Il faut individualiser au maximum. A partir du moment où les joueurs sont tous différents, tu ne peux pas leur parler à tous de la même manière. Certains comprennent avec du visuel, d’autres du cri, d’autres de la parole et du calme. Il faut connaître les joueurs au maximum pour mettre de notre côté toutes les chances de bien se faire comprendre. Je ne détiens pas la vérité, mais c’est ma manière de fonctionner.


Le terrain est également important dans ta manière de te faire comprendre ?
Oui, parce que leur expliquer les choses grâce au support vidéo, c’est bien, mais quand on arrive à les prendre « en direct », sur le terrain, c’est encore autre chose. Là, l’exemple est flagrant, à vif, il n’y a pas de débat, pas d’excuse du genre : « On ne voit pas bien, ça arrivait vite ». Le terrain, ça parle plus que tout.

Dans tous les aspects du métier de coach, qu’est-ce qui te plaît le plus ?
Tout. Mais si je dois citer une chose, c’est l’aspect relationnel. Echanger avec un joueur, je pense que c’est un moment privilégié, pour moi comme pour lui, car il voit qu’on s’occupe de lui, qu’on a vraiment envie de le faire progresser. C’est très important.

Dans ta manière de corriger et d’orienter, qu’est-ce qui change des jeunes aux pros ?
L’urgence.

C’est-à-dire ?
En formation, l’objectif, c’est de former. Je n’invente rien. Le résultat est moins important que le contenu qui te permet d’accompagner un jeune dans sa construction et sa progression. En pro, le contenu t’apporte la continuité, mais la priorité reste malgré tout le résultat, parce qu’on sait qu’il joue sur la confiance et que la confiance est le seul moyen d’avoir des joueurs libérés, capables de s’épanouir en intégrant les consignes. On doit avoir du contenu dans les matchs, parce que sur une saison, c’est ce qui va te permettre d’obtenir ce que tu veux, mais le résultat reste prioritaire, donc tout est plus urgent. Il faut être bon rapidement, assimiler les consignes rapidement. C’est là que notre rôle devient important. On doit trouver la meilleure formule pour se faire comprendre.

"Le mérite reviendra toujours aux joueurs"

Tu parlais plus sur le terrain, quand tu étais le capitaine du Gym, ou sur le banc, en tant qu'adjoint ?
Je n’ai pas changé de mode de fonctionnement. J’ai toujours parlé dans un vestiaire et sur un terrain. Aujourd’hui, je le fais juste différemment. Par exemple, je ne vais pas dans le vestiaire. Pour moi, c’est chez les joueurs. Je n’aimais pas qu’on vienne chez moi, je ne vois pas pourquoi je vais aller chez eux. Mais en dehors, on échange énormément. Je ne pense pas parler plus ou moins qu’avant. Je me suis toujours occupé de tout le monde, ceux qui jouent comme ceux qui ne jouent pas, j’ai toujours été comme ça.

Tu n’as pas encore été sur le banc avec un stade plein. Est-ce que tu crois que ça changera ta manière d’agir sur les débats, notamment par les consignes ?
Je pense que ça va nous pousser à être encore plus performants. Je ne sais pas si cette chance arrivera cette saison, car ça me semble compliqué d’avoir des supporters au stade dans l’immédiat. Avec l’ambiance, c’est dur de se faire entendre, de faire passer les messages. Ça peut prendre plus de temps et à ce niveau-là, on n’en a pas. Ça nous poussera à être encore plus exigeants.

Un match peut se gagner sur le banc ?
Je pense, même si le mérite reviendra toujours aux joueurs...

Est-ce que tu as l’impression d’être plus passionné maintenant que quand tu étais joueur, au milieu du tourbillon du quotidien ?
J’ai toujours été passionné, j’ai toujours regardé les matchs, ce qui m’a toujours mené à une certaine réflexion. C’est pour ça que tactiquement, je ne me débrouille pas trop mal pour quelqu’un qui débute dans le métier. Mais aujourd’hui, je pense au contraire avoir un regard plus pointu, moins passionné, plus axé sur le travail et l’analyse. La différence est là.

Et est-ce que tu as l’impression d’être plus influent ?
Je suis moins influent que quand j’étais joueur. (Après réflexion) Enfin, peut-être plus influent dans le quotidien, mais moins en match.

Coach Digard, il aurait pensé quoi de capitaine Didier ?
C’est compliqué, car ça reviendrait à faire un bilan de ma carrière. Aujourd’hui, je ne sais pas trop, parce que ma carrière est assez difficile à analyser. Les blessures restent le point central, c’est ce qui m’a empêché de faire ce que je souhaitais. Après, je pense que j’aurais aimé ma personnalité, ma combativité. J’avais aussi beaucoup de lacunes, d’axes d’amélioration. Je crois que je me serais fait travailler et que j’aurais été un joueur sur lequel m’appuyer au niveau de la fiabilité.

Capitaine Didier, il aurait pensé quoi de coach Digard ?
Ça aussi c’est difficile, car je suis très jeune. Mais comme quand je jouais, je suis à l’écoute et je pense être fiable, car ça fait partie de ma personnalité. J’essaie d’apporter ce que je peux, je dis les choses, bonnes ou mauvaises, mais toujours dans l’espoir de faire avancer les choses. Et quand je me trompe, je suis content qu’on me le dise, parce que ça fait partie de mon apprentissage. Je découvre, j’espère ne pas mettre trop de temps pour apprendre et être performant. Comme quand j’étais joueur, mon souci, c’est de servir au mieux le club.

"Là où on passait 3 heures au centre d’entraînement, on en passe 8 aujourd’hui"

Est-ce qu’au niveau des séances, des choses ont changé par rapport à ton époque ?
Les choses ont changé parce que le foot évolue tous les jours et que nos infrastructures nous permettent un travail impossible à réaliser avant. Donc oui, par rapport à mon époque, le fonctionnement n’est plus le même. Ça n’a plus rien à voir. Là où on passait 3 heures au centre d’entraînement, on en passe 8 aujourd’hui. Les journées sont beaucoup plus longues, le travail beaucoup plus accentué, parce que les structures nous le permettent.

En tant que technicien, qu’est-ce que t’apporte Adrian ?
Avec Adri’ et Fred’, on a une relation particulière, on échange du matin au soir, j’écoute énormément, je donne mon avis et j’apprends. Ils m’apportent tout ce dont j’ai besoin pour progresser. J’ai une chance : avoir autant d’échanges, autant de libertés, qu’ils me posent autant de questions. Avec Fred, nous sommes là pour aider Adrian, qui au final, est celui qui prend les décisions. Aujourd’hui, j’ai un gain de temps exceptionnel. Après, Adri’, comme Fred, Nico’ Dehon et Nico’ Dyon : tout le monde m’apporte. Moi, j’adore échanger, donc j’apprends de tout le monde. La prépa’ physique m’intéresse, je pose des questions. Les gardiens, c’est la même chose. 

Les gardiens et la préparation, ça t’intéressait avant ?
Tout m’a toujours plu dans le foot. Mais aujourd’hui, c’est plus pointu. Avant c’était plus global, maintenant je cherche à comprendre les détails, à comprendre les choses en profondeur.

Pendant ta carrière, tu avais déjà entraîné des équipes de petits ?
Jamais. Sincèrement, même maintenant, je ne suis pas du tout au niveau pour ça. Je trouve que c’est dur, très dur, et que c’est encore autre chose. A partir des 15-17 ans, je pense avoir les capacités d’apporter quelque chose. Mais les petits, c’est très difficile. D’ailleurs quand je vais voir leurs éducateurs, je les admire. Ils méritent vraiment notre admiration.

Entre Marseille et Nantes, quel aurait été le discours du capitaine ?
Joueur comme entraîneur, c’est le même discours. Le match de Marseille, c’est très bien, mais malheureusement, il est passé. Ça reste 3 points et dès le lendemain, il faut penser à Nantes. Après Lorient, on était déçus de la performance, on avait réussi à prendre un point, il fallait le bonifier contre Marseille. Là, si on veut garder cette confiance et aller de l’avant, il faut aller à Nantes et prendre des points. Sinon, on ne va dire que c’est un coup d’épée dans l’eau, parce qu’on ne nous reprendra pas les 3 points de Marseille, mais ils ne seront pas aussi importants que si on enchaîne avec un résultat positif. Il faut engranger des points, être compétiteurs et essayer de terminer le plus haut possible.

"Nous voulons des joueurs avec l’état d’esprit club"

Quel a été le programme des 2 dernières semaines ?
On a eu beaucoup de joueurs en équipe nationale, donc on a travaillé avec un groupe restreint. On a fait attention avec des joueurs qui pouvaient avoir de petites alertes. Petit à petit, les sélectionnés reviennent, on peut retrouver nos habitudes. Là on a bossé différemment. Il n’y a qu’aujourd’hui (mercredi) que nous sommes repassés sur des grands jeux, pour ne pas que les joueurs restent trop longtemps sans évoluer dans de grands espaces. Ça nous a permis de faire monter des éléments du centre pour pouvoir évaluer le niveau.

Justement, les jeunes du centre ?
Ce qui est très important, c’est leur état d’esprit. Nous voulons des joueurs avec l’état d’esprit club, prêts à remplir ce qu’on attend d’eux. On sera très indulgents sur les éventuelles lacunes techniques et tactiques, parce qu’on ne peut pas avoir des joueurs parfaits, mais par contre on est vraiment très exigeants sur l’état d’esprit. Aujourd’hui, ils sont venus et ont répondu à ce qu’on attendait. On sait que quand on aura besoin, on pourra s’appuyer sur eux.

Tu as passé beaucoup de temps au Gym (165 matchs entre 2010 et 2015), vécu des luttes pour le maintien, des qualifications en Europe. Le Gym que tu as connu et incarné, c’est facile de le transmettre aux joueurs ?
Je ne sais pas si c’est facile mais, en tout cas, c’est naturel. Il y a un travail exceptionnel fait au club par rapport à ça, avec la venue de beaucoup d’anciens dans le staff de la formation pour pouvoir transmettre rapidement ces valeurs aux joueurs qui arrivent. Il faut qu’ils puissent rapidement s’identifier à notre club, qu’ils aient envie de tout lui donner. Quand on est ici, on sait qu’on est dans un club avec un état d’esprit et une histoire à part. Il faut absolument le sentir et l’intégrer parce que nos supporters sont très attachés à ça.


Vous, « jeunes anciens », êtes aussi les témoins d’une époque pas si lointaine mais très différente…
Oui. C’est important. Quand un club a une telle identité, il faut la transmettre. Il faut qu’on puisse témoigner de ce qu’on a vu, vécu, et surtout ne pas perdre l’état d’esprit. Ça a toujours été la même chose : on ne nous a jamais reproché les défaites. Souvent, quand il y a eu des problèmes, on nous a reproché l’état d’esprit. Aujourd’hui, nous sommes les garants de cet état d’esprit. On s’attache à le transmettre au quotidien.

Propos recueillis par C.D.