Portrait
Qui es-tu, Jordan Amavi ?
Jusqu'à présent, il n'avait parlé qu'avec ses pieds. Son cœur, sa tête, ses tripes. Mais jamais encore Jordan Amavi n'avait fait entendre sa voix. Lancé cette saison comme doublure au poste d'arrière gauche, la jeune pousse découvre progressivement la Ligue 1. Une aventure dont il narre les contours et origines pour la première fois.
Quinze apparitions, et pas des moindres. Une titularisation en Europa League. Une autre pour la der' du Ray. Des passes décisives à l'inauguration de l'Allianz Riviera et lors du légendaire succès au Vélodrome. On pourrait croire Jordan doté d'un don. Celui d'être de tous les bons coups, lui le vainqueur de la Gambardella 2012 et récent champion de CFA2.
Une fois encore, le rêve ne tenait à rien. A un doublé et une passe décisive. A un couloir gauche sillonné d'aller-retours. L'oeuvre d'un gamin du Sporting de Toulon contre la réserve des U17 niçois, alors engagée au niveau régional. Dans les tribunes, Manuel Pires, coach de l'équipe 1, est séduit.
« Petit, j'étais fou. Un vrai casse-cou, toujours plein de bêtises », se marre celui qui fêtera ses 20 ans le 9 mars. Fils unique de Linda et d'Achille – son entraîneur jusqu'en Poussins – Jordan doit son prénom à Michael. Le basketteur. « Mais moi, ça a toujours été le foot. J'étais fan de Ronaldo, le Brésilien. Je voulais dribbler tout le monde, marquer des buts, tout faire comme lui. Pour autant, je ne supportais aucun club en particulier. L'OGC Nice ? Je l'associais surtout à Marama Vahirua et ses coups de pagaie. »
Eté 2010. Malgré l'intérêt de Bordeaux, Cannes ou Monaco, le Varois intègre le centre de formation niçois. « Il n'était pas un talent hors-normes », se souvient Manuel Pires. « Il avait des carences techniques à combler. Je crois qu'il a passé quelques mauvaises nuits à l'internat. Il a beaucoup gambergé. » L'intéressé confirme : « Les trois premiers mois, je n'arrivais à rien. Je me mettais une pression de dingue, j'étais complètement perdu. Au téléphone, mon père me rassurait, me disait de m'accrocher. » Puis un jour, le déclic. « Un simple entraînement. J'ai survolé la séance. Le coach m'a félicité et j'ai commencé à prendre confiance. »
Reculer pour mieux sauter
Au fil des matchs, Jordan fait valoir son profil d'athlète. Guy Mengual, son entraîneur en U19, décrit un sportif « rapide, endurant, avec une bonne détente et un excellent jeu de tête ». « Toutes ces qualités réunies dans un seul joueur, ça devient intéressant... » En demi-finale de Gambardella, le gaucher brille et délivre à Alexy Bosetti un caviar pour l'unique but de la partie. Parlez de l'épopée à Jordan, et son regard s'illumine. « Cette aventure était complètement folle. Et le soutien du public, magnifique. Autant de supporters pour des matchs de jeunes, c'était incroyable... Même aujourd'hui, il m'arrive d'y repenser. Et je remercie encore les Niçois. »
Le désormais international U18 l'ignore, mais le nouvel entraîneur général de l'OGC Nice va changer sa vie. A commencer par son poste. « J'ai pensé qu'il fallait l'essayer un cran plus bas », relate Claude Puel. « Il a le profil pour faire ce que j'attends d'un arrière latéral gauche. Enchaîner les aller-retours, répéter les efforts. Encore fallait-il que ça prenne... » En difficulté les premiers mois de sa reconversion, le néo-défenseur s'entraîne avec le groupe pro et joue avec la réserve. « Il a dû beaucoup travailler tactiquement, notamment à l'appui de la vidéo. Il doit encore corriger ses absences, ses fautes de concentration. »
Artisan du titre synonyme de montée en CFA, Jordan reste avec les grands pour la préparation d'avant-saison. « Il a montré des choses intéressantes sur les matchs amicaux », atteste Puel. « A partir de là, nous avons estimé qu'il avait les moyens de devenir la doublure de Kolo. » Sa « miniature », comme l’appellent certains dans le vestiaire. Le titulaire du poste, de trois ans son ainé, prend l'apprenti sous son aile. « Je suis content pour lui, c'est un bosseur. Il a prouvé qu'il peut jouer dans cette équipe. On sent qu'il a besoin d'enchaîner encore pour prendre vraiment confiance, mais c'est un joueur sur lequel l'OGC Nice pourra compter, je pense. »
« MARQUÉ AU FER ROUGE ET NOIR »
« Facile à vivre, toujours joyeux : on a l'impression qu'il est là depuis dix ans », relate Guy Mengual. « Il est culotté, mais respectueux », précise Manu Pires, admiratif de l'éducation du jeune homme. « Il a toujours eu l'ambition de réussir, mais avant tout à l'OGC Nice. Il est ici chez lui. Il est marqué au fer rouge et noir. » « Je me suis imprégné de l'identité, de la mentalité niçoise », reconnaît le garçon. « Quand on a perdu sept matchs consécutifs, les supporters auraient pu nous tomber dessus. Mais non, ils n'ont pas lâché. On ne voit ça nulle part ailleurs... »
« Caché » derrière son anonyme numéro 33 (*), et toujours bien entouré, Amavi poursuit sa croissance. « Petit à petit, nous lui donnons des temps de jeu. Même si ça peut nous coûter. Il est important d'avoir, avec lui comme avec les autres, cette vision à moyen terme », explique Claude Puel, convaincu de « son potentiel pour devenir un joueur de haut niveau... à condition de travail. » « Connaître la Ligue 1, qui plus est à mon âge, c'était un rêve. Je veux qu'il dure le plus longtemps possible », lâche Jordan, premier contrat pro dans la mire. « J'ai les crocs, je donne tout, je fais ce qu'il faut. On verra où ça me mène... »
Y.F.
*Traditionnellement, les numéros à partir du 33 sont réservés aux joueurs non-professionnels. Ni fixes, ni accompagnés du nom, ils se retrouvent généralement portés par les garçons issus du centre de formation.