Sa parole est rare. Du moins sa parole publique. Alors pour que sa parole sorte du vestiaire sans perdre un pouce de force, on a demandé à ceux qui la reçoivent au quotidien de lui ouvrir la porte. Et ils s’y sont mis à plusieurs… Avant la réception de Toulouse, Pablo Rosario (26 ans) a été interviewé par ses coéquipiers, pour parler de tout avec sérieux et légèreté. Le coup de pouce s’est mué en coup de main. Idéal pour fixer un cadre de valeur.

Khephren Thuram et Evann Guessand : « Pablo, tu es le plus gros tricheur que nous ayons vu.  D’où ça vient ? » 
(Rires) Je veux toujours gagner mais comme je le dis tout le temps, ce n’est pas moi qui décide. Si le ballon est pour moi, je dis qu’il est pour moi. Si ce n’est pas le cas, je dis aussi que c’est pour moi, même si j’ai touché le ballon, et à la fin c’est l’arbitre qui décide. Je dis toujours quelques mots à l’arbitre, mais ce n’est pas tricher. Ce sont juste quelques mots. C’est pour ça, Kheph’, que tu perds toujours et que c’est moi qui gagne. 

Ce côté « arbitre », ça revient quand même beaucoup chez tes coéquipiers…
(Sourire) Comme j’ai dit, ce n’est pas moi qui décide. Et je gagne toujours, c’est pour ça qu’ils en parlent. En match c’est pire. Je parle avec l’arbitre, je pense qu’il me déteste, les adversaires aussi. Ça dure pendant 90 minutes, après pour moi, c’est fini. Je fais tout pour gagner et un détail peut tout changer. C’est pour ça que c’est important de ne rien lâcher. 

Badredine Bouanani : Combien de postes peux-tu encore jouer ? Parce que là il te reste attaquant, vu que tu as joué tous les postes en défense et au milieu…
Je suis bien partout, c’est pour ça que je joue plusieurs postes. Il me reste deux positions : attaquant, n°9 - mais je ne marque jamais donc ce n’est pas une bonne position - et la dernière c’est gardien, mais il y a 3 top gardiens. Si je dois y aller un jour, j’y vais, mais on est bien comme ça. On a pris que 4 buts. 

Pour rebondir sur le poste de latéral droit, on a l’impression que tu t’y sens à l’aise. Est-ce que c’est parce qu’on te demande d’être plus axial quand on est en possession du ballon, dans une zone que tu connais très bien, et pas collé à la ligne de touche ?
Oui. On joue un peu différemment cette saison. Si tu joues latéral droit, tu vas beaucoup à l’intérieur, c’est un peu la même chose que si tu joues au milieu. C’est pour ça, je pense, que ça se passe bien. Ce qui est drôle, c’est que quand j’ai commencé le foot, je ne voulais pas jouer latéral, collé à la ligne, et maintenant j’y joue. Ça va vite dans la vie. 

Quand tu as commencé, tu jouais aux postes offensifs… 
Oui. Tous ceux qui me connaissent disent que j’ai beaucoup changé de style au fil des années. C’est vrai. Jusqu’à 12 ou 13 ans, je jouais toujours 10, 7, 11 ou 9. Ça se passait bien. Je mesurais 1,50m, je pouvais mieux bouger, comme un petit serpent. C’est pour ça que je jouais devant. Au bout d’un moment, j’ai commencé à grandir, puis vers 16 ans, j’étais devenu grand. Donc j’ai reculé, d’année en année. Aujourd’hui, je suis encore plus grand, donc un peu moins mobile. Il y a aussi le temps, l’expérience, qui me fait reculer. 

Khephren Thuram : « La deuxième chose ce n’est pas une question. Je pense que tu es un exemple pour tout le monde dans le vestiaire. Toujours debout le matin, tu arrives toujours tôt, tu donnes 100% à l’entraînement. Peu importe le temps, tu es toujours heureux, avec la même mentalité. Je voulais juste te dire que tu es un exemple et un super mec. »
Merci Kheph’. Je peux seulement dire merci. C’est bon d’entendre ça des autres, de voir la manière dont ils te perçoivent. La seule chose que je peux dire à propos de ça, c’est que je ne suis peut-être pas le joueur le plus technique, je ne suis peut-être pas le plus sophistiqué au niveau du style de jeu. Peut-être que les gens n’apprécient pas trop ma manière de jouer mais une de mes forces, si je n’ai pas le reste, c’est que je donne tout, tout le temps. C’est très important pour moi. C’est une de mes qualités : mettre de l’intensité. Peut-être que ça permet aux autres d’aller plus loin. Si j’y vais à 100%, les autres doivent aussi être à 100%. C’est comme ça qu’on progresse en tant qu’équipe et individuellement. Notre groupe, depuis que je suis là, veut toujours tout donner. Chaque jour, chaque saison. Il y a des hauts, il y a des bas. Il faut toujours continuer. Si tu regardes la saison actuelle, la manière dont nous avons commencé, là où nous en sommes aujourd’hui, c’est dû en grande partie à ça : nous voulons toujours donner notre maximum. Il faut encourager les autres à le faire, sur le terrain, à la salle. C’est comme ça qu’on doit être. 

« Les autres », justement, ont envie de t’attaquer en disant que tu triches, mais ça fait partie de cet état d’esprit…
C’est ça. Bien sûr, de temps en temps, tu vas t’énerver si le ballon est pour toi et que je dis qu’il est à nous, mais c’est important pour ne pas lâcher, pour être toujours là, pour gagner. Si c’est la dernière minute, si tu perds 2-0, peut-être que tu peux égaliser, peut-être que tu marques un but et que tu vas mettre le deuxième. C’est pour ça que je le fais. Comme Kheph’ l’a dit, ça nous aide beaucoup. J’étais déjà comme ça tout petit, quand je jouais avec mon grand frère. Petit, tu n’as pas la force, tu n’as pas la puissance pour battre les grands, donc j’étais toujours là à regarder où je pouvais gratter un peu pour gagner, car je déteste perdre. Dans la vie de tous les jours, je suis très cool, très tranquille, mais quand on commence quelque chose où je peux gagner, c’est là que je « switche ».

Antoine Mendy : Comment tu fais pour ne jamais avoir froid ? 
Tout le monde me pose cette question. Ça dépend toujours de la taille du t-shirt. J’aime les trucs larges, quand je suis relâché. Quand il pleut, j’aime être en t-shirt, parce que c’est mieux pour ton corps, ça te permet de ne pas être malade. Je vous le dis toujours les gars : chez nous, des joueurs portent tout, longs pantalons, pulls, bonnets, et ils sont toujours malades. Soyez juste comme moi : short, t-shirt, et tout se passera bien. Mais vous ne m’écoutez pas ! Le froid aux Pays-Bas est pire qu’ici. L’hiver ici est comme l’été aux Pays-Bas. 

Morgan Sanson : Combien de trous dans les tibias as-tu fait depuis le début de saison ? Il y a deux réponses au choix : moins de 50 et plus de 50… 
Je vais parler en anglais parce que Morgan sait que je suis très dur dans les duels, mais je pense, vraiment, que j’ai dû faire mal à quelqu’un 2 ou 3 fois en 3 ans ici : une fois Hicham la première année, une fois Evann cette saison, à la cheville sur les deux contre deux, et c’est tout. Ah oui, une fois à Jojo (Lotomba) aussi, dans les 5 contre 5, je l’ai taclé. J’ai dit « ballon » mais après j’ai vu les images, ce n’était pas le ballon. En L1, c’est rouge ? Non. Jamais. C’est un jaune tranquille. Ce n’est vraiment pas beaucoup, moins de 50, Morgan tu abuses (il se marre). Je suis toujours agressif mais toujours juste.

Dante : « Depuis ton arrivée, on a vécu des choses incroyables ensemble. La finale de la Coupe de France, le quart de finale de Coupe d’Europe. C’est quoi ton plus grand rêve avec l’OGC Nice ? Et tu crois qu’on peut aller jusqu’où tous ensemble ? »
Ça c’est une bonne question… On a perdu la finale de la Coupe de France. Il y a 3 semaines, quand il y a eu un entraînement ouvert au public, quelqu’un est venu avec le maillot de la finale, avec écrit ce qui était partout (« Nissa en finala », ndlr). Quand j’ai vu ça, j’ai dit pourquoi ? Comment ? C’est impossible qu’on ait perdu ce match-là. Mais c’est la vérité. Mon grand rêve, c’est de gagner quelque chose avec Nice, de soulever un trophée, pour moi, pour l’équipe, pour les supporters. J’ai eu l’opportunité de gagner un titre une fois, aux Pays-Bas, avec le PSV (champion des Pays-Bas en 2017-18). Cette sensation, ce moment où tu célèbres, où tu vois tout le monde heureux, ta famille, les supporters, quand tu prends les photos, c’est quelque chose que tu ne peux jamais oublier. Et quand je repense à l’Europe… (Il coupe, puis reprend). On prend un but à la 89’, en quart de finale. Quand je vois le jeudi soir, la Conference League, l’Europa League, je me dis qu’on était à ça (il mime avec ses doigts, puis reprend), à ça d’une demi-finale, et à partir des demies, tout peut se passer. Dans ma tête, c’est impossible qu’on ait perdu comme ça, deux fois, en Coupe de France et contre Bâle. C’est passé mais il ne faut pas oublier. Il faut s’en servir pour aller droit et le plus loin possible. Tu joues comme tu t’entraînes, comme on dit. Je sais que si on reste comme ça, qu’on continue à s’entraîner ainsi, on peut faire de belles choses. 

Dante :  « Ici on entend souvent parler de la « mentalita nissarda ». Qu’est-ce que ça t’évoque et est-ce que tu penses que c’est la base de tout ? »
On nous parle toujours de ça. Les supporters nous disent toujours : « Bien sûr, on veut gagner, mais tout le monde veut gagner. La première chose qu’il faut, c’est la mentalité ». Ils veulent qu’on ait la même mentalité qu’eux sur le terrain. Ça veut dire ne jamais abandonner, toujours tout faire pour gagner. Quand je suis arrivé ici, l’amour que j’ai reçu, dès le début, était incroyable. Et il y avait ça, la mentalité. Ce n’est pas seulement que les supporters veulent voir du beau football, c’est qu’ils veulent voir 11 mecs, 25 mecs parce qu’il y a aussi du monde sur le banc, qui peuvent changer le match. Ils veulent nous voir mettre tout notre cœur sur le terrain. C’est quelque chose que je peux apprécier parce que ça fait partie de mes qualités. Quelque chose qui doit être partagé entre chacun. On y va toujours jusqu’à la dernière minute, même si on est mal, on y va, on cherche toujours à atteindre notre but. 

Melvin Bard : « Il y a beaucoup de critiques sur le fait qu’on ne marque pas beaucoup de buts. Comment le vivez-vous ? »
Bien sûr qu’on veut marquer 100, 200 buts, mais à la fin, qu’est-ce qui compte ? Les 3 points. Maintenant on est 2èmes. On n’a pris que 4 buts en 12 matchs. Je n’ai jamais vu ça dans ma vie. Ce championnat est très dur, très fort. Il y a beaucoup de joueurs de qualité, devant, au milieu, derrière. Si tu ne prends que 4 buts, c’est vraiment impressionnant. Et puis on a eu beaucoup d’opportunités de marquer plus, donc ce n’est pas l’exact reflet (de notre début de saison). Bien sûr, en ce moment, nous avons 13 buts mis et 4 encaissés, mais jusqu’à aujourd’hui, on a beaucoup gagné et on n’a pas encore perdu. Si on avait marqué 13 buts en plus - on serait à 26 - mais qu’on avait 10 points en moins, la situation serait différente. C’est peut-être mieux de marquer moins et de donner moins de buts. Donc pour moi, nous devons continuer à avancer et les buts viendront. Les qualités sont là, nous devons rester concentrés et savoir où nous voulons aller. Pour nous, l’équipe, c’est très clair. Il nous reste 5 matchs jusqu’à la fin de l’année. On veut progresser, on va le faire pour marquer des buts, mais d’un autre côté, on ne veut pas se dire qu’on ne fait pas bien. Nous devons nous concentrer sur les choses positives. Ça commence dès dimanche face à Toulouse. À nous de continuer comme ça pour aller de l’avant. C’est très clair. On a bien commencé mais ça ne fait pas tout. La saison n’est pas finie. On veut rester en haut, avec la même intensité que lors des 12 premiers matchs. 

Sofiane Diop : Comment tu occupes ton temps libre ? 
Avec ma petite. On sort, on se promène dans la rue. Elle commence à faire du vélo, elle freine avec les pieds. On sort beaucoup. Sinon je suis chez moi, en famille, devant des films ou des séries. Je n’aime pas beaucoup la console, je l’ai mais je ne joue pas, à part si ma famille est là. Pour le reste, tranquille, avec ma femme et ma fille, tout simplement.  

Teddy Boulhendi : « Quand tes enfants grandiront, tu veux qu’ils retiennent quoi du Pablo Rosario joueur ? »
J’ai une petite fille de 2 ans. C’est la plus belle chose. Je veux qu’elle se rappelle de moi en tant que joueur en se disant que même dans les moments difficiles, je n’ai jamais cessé de croire en moi. Qu’elle peut être tout ce qu’elle veut être, parce que si tu crois en toi, avec bien sûr les bonnes personnes autour de toi, avec une famille, qui m’a supporté et qui me supporte toujours, tu peux tout accomplir. Même si ça parait très loin et que tu n’y vois pas toujours clair, la route est là et je crois que la chose la plus importante et de croire en toi, même quand certains moments te montrent le contraire.

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