La Grande Interview (1/2)
« Un entraîneur rame à contre-courant »
Un tiers du championnat dans le rétroviseur, Claude Puel nous a ouvert les portes de son bureau, cette semaine. Loin du terrain mais pas trop, l'entraîneur général des Aiglons a accepté de mettre l'actualité entre parenthèses pour évoquer son métier. Première partie.
Un entraîneur assimile souvent la quintessence de son métier à la reproduction en match de séquences travaillées la semaine. Qu'en est-il pour vous ?
Une combinaison qui débouche sur une bonne situation, voire un but, procure une grande satisfaction. Qui plus est devant un public, sous pression. Mais je ne prends pas non plus mon pied à ce moment-là. Et je n'y recherche aucune gloire. Ce qui me plait vraiment, c'est de voir grandir des joueurs – plus ou moins jeunes. J'aime les voir enchaîner, franchir des paliers, réagir à des moments plus difficiles. Sur le terrain comme en dehors. Que le joueur et l'équipe s'expriment au mieux.
Le caractère cyclique de la réussite, la hantise d'un entraîneur ?
Pas une hantise ; une réalité. Quand on travaille avec un effectif jeune, tôt ou tard, les manques de maturité, de lucidité et d'expérience se font ressentir. C'est automatique. D'où le besoin de rester vigilant. Un groupe jeune peut rapidement se croire arrivé. Un peu comme nous qui avons un peu de mal à repartir après une belle saison. Les statuts, l'environnement et la reconnaissance des joueurs évoluent. Il faut pourtant rester humble et disponible. Lorsqu'on réussit un coup, il ne faut pas imaginer que le reste va tranquillement suivre. Le sport, ce n'est pas ça. Il faut parfois se piquer, affronter l'adversité pour retrouver la vérité. La remis en question doit être permanente.
Souvent invoquée, à quoi correspond cette fameuse « remise en question » ?
Beaucoup de petites choses dans la vie de tous les jours. L'entretien d'une certaine lucidité, d'une capacité d'analyse. Il ne faut jamais tomber dans l'euphorie, ni le catastrophisme. Lorsque les résultats sont bons, il faut chercher comment faire durer le plaisir. Dans une passe plus difficile, il faut penser qualité et concentration. Savoir se faire mal pour repartir du bon pied.
La case formation est-elle obligatoire pour un entraîneur ?
Chacun son parcours. C'est ce qui fait la richesse du panel.
Il peut ne pas avoir été joueur professionnel ?
Wenger ou Mourinho en constituent la preuve. Comme Elie Baup, Gérard Houllier ou Guy Roux. Avant tout, il faut être connaisseur. Avoir une certaine sensibilité, une analyse et s'inscrire dans la bonne démarche.
Ces entraîneurs sont-ils différents ?
Leur personnalité, leurs mots, leurs attitudes le sont. Mais le fond du métier reste le même.
« Le chef de meute »
Avec l'évolution des technologies, votre métier a-t-il changé ?
J'ai été l'un des premiers à m'appuyer sur la vidéo. Déjà à Monaco, je débriefais systématiquement les matchs. A Nice, j'ai ainsi voulu que les rencontres du centre de formation soient filmées. Les éducateurs peuvent travailler dessus, faire progresser l'individu ou l'équipe sur différents thèmes. Beaucoup de joueurs ont besoin des images pour réaliser ce qu'ils ont fait, ou pas. Chacun a sa perception.
D'où l'importance grandissante de la psychologie dans le coaching...
Comme la société, l'approche a dû évoluer. On ne peut plus entraîner comme avant. L'entraîneur reste et restera le chef de meute, mais il doit davantage échanger. Les joueurs sont des individus : chacun a son projet qui ne correspond pas toujours à celui du club. D'où la difficulté grandissante du métier, proportionnelle au développement de la « starisation », des médias et des réseaux sociaux. L'entraîneur, c'est celui qui rame à contre-courant. Il doit emmener tout ce monde dans son sillage et les inscrire dans l'idée collective.
Le décalage de vision entre l'entraîneur et les observateurs est-il une difficulté ?
Le supporter prend l'info, la jette, passe à la suivante. L'éducateur, lui, doit garder du recul. Sans perdre qui que ce soit en route. Certains joueurs lisent des choses et en font parfois des références. A tort.
Le footballeur est toujours plus vigilant face aux médias...
Les médias reprochent aux sportifs des discours parfois formatés. OK. Mais le premier qui se lâche un peu se fait reprendre de volée (il mime le geste). Le moindre mot est repris, parfois sorti de son contexte, pour faire le buzz. Lorsque ça part dans tous les sens, les morceaux sont difficiles à recoller.
Le public constitue l'un des piliers d'un club comme l'OGCN...
La présence de supporters comme les nôtres est magnifique. Si l'on fait ce métier, c'est aussi pour jouer au milieu de tribunes pleines. Leur attente est conséquente. Mais elle peut aussi transcender les joueurs, leur conférer une adrénaline assez inexplicable. Les problématiques diverses du supportérisme et du monde ultra restent nombreuses. Difficile pour nous de les maîtriser à l'échelle nationale. A notre niveau, je trouve en revanche que le président Rivère a mis en place une excellente politique en faveur du public. Le stade est accessible à tous. Il est magnifique, son acoustique sensationnelle. Et même si ce n'est pas systématique, j'espère que le spectacle sur le terrain est au rendez-vous (rires) !
L'argent dans le football est régulièrement critiqué. Mais le football existerait-il sans ?
Le haut-niveau, quelque soit le domaine, engendre irrémédiablement des frais, du personnel, des acteurs performants. Avec la concurrence à l'échelle régionale, nationale puis internationale, l'escalade des coûts est inévitable. Libre à nos dirigeants d'Etat d'arrêter ce système. Mais pas sûr que le football y survive.
Propos recueillis par Yannick Faraut
Retrouvez ce dimanche la seconde partie de l'entretien de Claude Puel sur le site officiel de l'OGC Nice. Un rendez-vous au cours duquel l'entraîneur livre sa vision du football français, de la formation jusqu'à l'élite.